Sécurité

Jean-François Charrat (à gauche) et Georges Cochet (à droite) capitaines honoraires de gendarmerie

Le deuil impossible

Jean-François Charrat : « Il y a urgence à redonner confiance aux gendarmes »

17 juin 2012 à Collobrières. 2 jeunes gendarmes, Audrey et Alicia, sont tuées dans l'exercice de leur fonction. Commandant la brigade de Pierrefeu-du-Var, le capitaine Jean François Charrat n'a jamais pu faire le deuil de ce drame.

Et, pour tenter d'exorciser sa peine, il a choisi l'écriture. « Le deuil impossible » est le récit tragique de la fin de carrière éprouvante et dramatique de Jean-François Charrat, patron des deux jeunes femmes.

Il répond aux questions de La Gazette du Var.

Quelle était votre motivation principale pour écrire ce livre, hormis le drame en lui-même ?

Jean-François CHARRAT. Durant l’année 2014 et jusqu’au procès de leurs assassins, chaque jour, je me levais tôt et j’éprouvais le besoin irrépressible de me mettre à mon ordinateur pour décrire ce que je ressentais depuis le 17 juin 2012. J’étais à la retraite et mes journées commençaient systématiquement par l’écriture. Et tout naturellement, cela a abouti à un ouvrage où j’exprime toutes les étapes que j’ai traversées. C’est une mise à nu où j’explique avec pudeur mes doutes et mon état d’esprit. C’est aussi l’occasion de rendre un hommage appuyé à deux femmes gendarmes pour lesquelles j’avais beaucoup d’affection et d’admiration. Comme une nécessité de tenir en vie leur souvenir, avec quelques mots, l’instant d’une lecture qui retrace, entre autres, une dramatique soirée où la colère, la souffrance et injustice se sont entremêlées. Les recettes financières que produiront les ventes seront reversées à des associations en lien avec les drames qui touchent les familles de gendarmes. C’est aussi une manière d’accomplir, encore une fois, un devoir de mémoire.

Comment votre livre est-il reçu par vos lecteurs ?

JFC. Avant la publication, j’étais assez inquiet sur la manière dont ce livre serait reçu, notamment par ceux qui me connaissent de près ou de loin. Et puis, petit à petit, les échos que l’éditeur ou moi-même recevions du récit, se sont révélés aimables, voire pour certains très élogieux. Le plus important était à mes yeux que les lecteurs comprennent le chemin que j’avais traversé à la suite de la nuit dramatique du 17 juin 2012 et qu’ils s’imprègnent des ressorts d’une vie de gendarme. De belles critiques proviennent de ma famille, mais des anonymes m’ont contacté pour me dire avec beaucoup de simplicité que je les avais bouleversés. Sans chercher à convaincre, j’ai atteint le but que je m’étais fixé, m’imprégner de cette vague de bienveillance pour apaiser ma douleur toujours présente.

Quel jugement portez-vous, en tant qu'ancien officier de gendarmerie, sur l'évolution de la profession de gendarme, notamment ces dernières années ?

JFC. Ce qui faisait la force du gendarme de brigade, c’était sa capacité à enfiler plusieurs casquettes. Tantôt, il revêtait celle de la police administrative, tantôt de la police judiciaire et parfois de la police militaire (de moins en moins). L’adaptation aux nouvelles technologies et à l’innovation cyber ont rebattu les cartes. Il me semble que désormais beaucoup de décisions sont dictées par des algorithmes préétablis. La sécurité publique générale est la mission principale du gendarme de brigade, ce qui sous-entend de la proximité avec la population. Cette proximité a peu à peu disparu de la culture des jeunes recrues qui considèrent la profession tantôt comme un emploi comme un autre, tantôt comme une source de revenus, le vocable vocation est presque devenu un gros mot.

Des dispositifs sont en cours d’expérimentation pour que les gendarmes de brigade se rapprochent de la population. Les brigades de contact, et plus récemment les postes mobiles, sont autant de leviers pour tenter de se réapproprier le terrain. Je vois deux raisons principales à cette désaffection du contact de nos jeunes camarades avec ceux qui les entourent. La première est à chercher dans l’éducation qu’ils ont reçue. La génération geek est une réalité dont il faut tenir compte. Celui qui, dès le plus jeune âge, a pris l’habitude de s’isoler sur son smartphone, n’est pas préparé à discuter avec n’importe quel individu au quotidien. Renouer avec le contact passe inévitablement par là. La seconde tient aux évolutions de la société dans ce qu’elle a de plus brutale. En raison d’un climat de défiance de l’autorité, les gendarmes de brigade sont devenus méfiants à l’égard de leurs congénères car leurs faits et gestes sont décortiqués même quand il ne se passe rien.

Les jeunes qui embrassent la carrière de gendarme ne diffèrent pas beaucoup des générations qui ont précédé, ils ont simplement besoin d’une acculturation plus importante lors de la formation initiale.

Quelles décisions seraient les plus opportunes pour stopper la petite et moyenne délinquance qui pourrissent le quotidien des Français ?

JFC. Il y a des règles immuables en matière de sécurité publique générale. La nature a horreur du vide ! Quand on abandonne le terrain à l’adversaire, il est compliqué ensuite de le reprendre. Le maillage territorial qui était une force il y a peu, a été dilué par la volonté de Nicolas Sarkozy notamment, dans une conception de la sécurité publique qui n’a pas fait la preuve de son efficacité. Les grosses unités qui ont, peu à peu, remplacé plusieurs petites brigades ont recentré le travail du gendarme sur les priorités du moment en ne consacrant que peu ou pas de temps à ce que l’on appelait la surveillance générale des écarts. D’ailleurs les annonces du président Emmanuel Macron, lors de la clôture du Beauvau de la sécurité, sont allées dans ce sens puisqu’il envisage de créer 200 brigades de proximité dans des lieux qui ne voient plus aucun gendarme depuis plusieurs années. C’est une première observation.

La seconde peut se résumer à plus de fermeté avec les délinquants quelle que soit la nature de l’infraction. Certaines juridictions, par manque de moyens, par accumulation des dossiers ou par idéologie, font preuve d’une indulgence funeste. La sanction quand elle intervient, n’est plus un moteur contre la récidive. Le législateur a tellement adapté le droit pénal, qu’il est de plus en plus facile de contourner les éventuelles condamnations.

J’aimerais profiter de cette occasion pour aborder un paramètre que l’on ne doit pas écarter, celui du temps de travail. De nos jours, les gendarmes sont régis par le code de la sécurité intérieure et leur temps de travail est adapté aux évolutions de la société. On ne peut qu’en être satisfaits. Mais les missions se sont multipliées sans aucune compensation en termes de recrutements. Le dispositif de la gestion de l’événement tente de pallier les trous dans l’intervention nocturne essentiellement, sans véritablement y arriver puisque de nombreux groupements l’abandonnent.

Il y a donc urgence à redonner confiance aux gendarmes, et plus globalement aux forces de l’ordre. Lutter contre la délinquance de voie publique passe nécessairement par une présence plus marquée et une fermeté sans compromis dans l’application des décisions de justice.

Photo PRESSE AGENCE.

Photo : Jean-François Charrat (à gauche) et Georges Cochet (à droite) capitaines honoraires de gendarmerie

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